Une Case en plus vous propose de rentrer Dans la case d’un auteur de bande dessinée, qu’il soit scénariste, dessinateur ou encore coloriste. Dans la case, c’est simple, l’auteur choisit une case au sein de son dernier album, explique son choix et la décrypte pour vous.
Aujourd’hui, c’est au tour de Fabrice Parme de nous faire entrer dans la case. Il a choisi la case n°4 du strip n°3 de la page 7 du cinquième tome d’Astrid Bromure, Comment refroidir le yéti, publié aux éditions Rue de Sèvres.
« Carré gris sur fond bleu. C’est le nom que j’ai donné à cette case.
Le fond bleu est celui de chaque planche de ce tome. Un bleu pâle pour évoquer la neige omniprésente. Astrid est enfermée dans son manoir parce qu’à l’extérieur, il neige sans cesse. Le gris est celui du ciel. Un ciel d’hiver. La case carrée est cernée d’un trait coloré d’un gris légèrement plus foncé. Trait tracé à la main, sans règle. Avec une légère vibration. Aucun trait d’un album d’Astrid Bromure n’est encré à la règle. C’est une règle du jeu. tracé à la règle, mon dessin serait trop glacé. Ce tracé de la case évite que les ruptures entre les images soient trop brutales.
Isolée, cette case ne signifie pas grand chose. La bande dessinée est un langage. Un dessin n’a de sens qu’en fonction de celui qui le précède ou lui succède. La place qu’occupe un dessin dans l’espace-temps que constitue la page fait sens aussi.
Je commence toujours par écrire une histoire d’Astrid avant de la dessiner. J’ai bien sûr des images mentales mais elles sont toujours floues, instables. Je préfère donc ne rien dessiner avant d’avoir achevé la rédaction d’un synopsis. Mes vagues visions vont disparaître pour renaître sur le papier, autrement, plus tard.
Après maintes réflexions, j’ai enfin la phrase qui résume mon récit. Pour Comment refroidir le Yéti, la prémisse est : Astrid aide le Yéti à trouver sa place en ville. Je rédige alors un premier synopsis de dix lignes, puis un long synopsis de douze pages avec une dizaine ou quinzaine de lignes pour chaque planche.
Cette case grise est née du synopsis de la page 07 :
“Astrid se poste devant la porte-fenêtre. Prête à jaillir lorsque la neige aura cessé de tomber : sa maman ne veut pas qu’elle aille jouer sur la terrasse lorsqu’il neige. Le dernier flocon qui virevoltait dans l’air a à peine touché le sol qu’Astrid ouvre la porte-fenêtre et bondit avec son filet sur le Yéti camouflé.”
Le synopsis de la page 07 validé, je prends mon carnet moleskine et je commence à noter des idées graphiques et des idées de dialogues. Rien n’est figé. Je cherche d’abord la dynamique du récit. Comment traduire mon synopsis avec des formes simples, des lignes de direction, des cases, des mots. Je gribouille souvent plusieurs pages avant de décider de la place de chacun des éléments qui vont composer la page. Les textes, bulles, dessins doivent s’imbriquer, s’empiler jusqu’à former une mosaïque parfaite.
La case “carré gris sur fond bleu” n’est pas apparue immédiatement. Dans le visuel ci-dessous, la case notée 3 montrait deux flocons. La neige n’avait complètement cessé de tomber qu’à la case 4. Cette case 4 devait montrer une vue du manoir familial des Bromure avec un ciel uniformément gris. Mais ça me posait un problème pour la case 5 : elle perdait en horizontalité, donc en dynamisme. J’ai dû supprimer cette case 4 et retirer les deux flocons de la case 3. La case “carré gris sur fond bleu” est alors apparue comme une évidence.
La case 1 est ensuite devenue la case 2. La nouvelle case 1 montrait Astrid attendant derrière la fenêtre que la neige cesse de tomber pour pouvoir sortir.
Mon strip de la page 3 trouvait enfin sa forme. Celle d’un strip classique, linéaire avec ses trois étapes :
A – Situation initiale (Initial)
B – Sommet (Peak)
C – résolution (Release)
A – Astrid attend derrière la fenêtre que la neige cesse de tomber pour pouvoir sortir.
B – La neige cesse de tomber.
C- Astrid bondit à l’extérieur pour capturer le Yéti déguisé en bonhomme de neige.
La neige cesse de tomber, comment illustrer cette idée ? En une image, c’est impossible puisqu’il faut dessiner un mouvement qui s’inscrit dans une durée et non pas dans un instant.
La neige tombe verticalement de haut en bas. Il me faut donc utiliser une lecture verticale. J’aurais pu utiliser plusieurs images verticales qui se suivent. Trois de préférence (Initial, Peak, Release) pour rester dans la logique du strip classique. Mais j’aurais occupé trop d’espace dans ma planche. Et plus j’utilise d’espace, moins j’ai d’images dans une page et moins je suis dans la lecture et ce qui fait qu’une bande dessinée est une bande dessinée.
Une seule verticale suffisait et trois images carrées empilées pouvait illustrer mon idée. J’ai donc opté pour cette solution et la case la plus minimaliste de l’album est apparue. Si on la retire, on perd le sens. Une simple case grise est donc la preuve qu’une bande dessinée est un art de la composition. Un joli dessin plein de détails n’est pas une obligation. Un case doit signifier comme une lettre dans un mot à son rôle. Une case peut s’approcher de l’idéogramme chinois ou du logotype.
Une succession de 3 carrés à l’horizontal n’aurait pas eu autant d’effet.
Des gribouillis de mon carnet Moleskine, je passe au découpage. Il est réalisé au format de l’album pour voir si ce que je veux montrer est lisible.
Mon découpage terminé, je le cale. C’est-à-dire que je le scanne et trace les cases de ma planche sur l’écran de mon ordinateur. Je place les textes et trace les bulles autour.
J’ai choisi des quadrilatères pour mes phylactères parce que nous lisons de gauche à droite et de haut en bas et parce que mes cases sont majoritairement quadrilatères. Il est plus simple d’empiler des quadrilatères et de les disposer dans des cases. Mes phylactères prennent moins de place et habilement agencés, dynamisent la lecture.
Dans la plupart des bandes dessinées, les bulles sont rondes par habitude. Ce qui a été un choix graphique de certains auteurs à une époque est devenu une convention, une tradition, un tic, un conformisme, “pour faire comme”. Tous les éléments, dont un auteur de bandes dessinées dispose, doivent être pensés et sélectionnés pour créer un langage et non pour perpétuer comme un perroquet un langage convenu. L’artiste est celui qui crée son propre langage. Celui qui fait à “la manière de” ou rabâche des traditions est un artisan. Il existe d’excellents artisans, mais ils n’inventent pas la bande dessinée. L’invention séquentielle est pourtant ce qui est le plus intéressant. Raconter une histoire dépend aussi de la manière de la raconter. Si le fond engendre la forme, la forme peut modifier le fond aussi. Les moyens de la bande dessinée ne sont ni ceux du cinéma, ni ceux de la littérature. La question que je me pose lorsque je débute ma journée de travail : qu’est-ce que la bande dessinée ?
Comme mes bulles et mes textes sont sur des calques séparés, ils restent amovibles jusqu’à mes derniers réglages.
Je ne travaille qu’avec des calques successifs. Je dessine mes personnages séparément, plusieurs fois, jusqu’à ce que leurs attitudes soient trouvées.
Je dessine mes décors séparément aussi.
Puis, je scanne tous mes éléments crayonnés et je compose mes images sur mon écran d’ordinateur.
Mon crayonné est un collage électronique. Je peux déplacer et remplacer à ma guise tous les éléments jusqu’à ce que la composition de chaque image, chaque strip et de la page fonctionne complètement.
Je travaille en priorité pour les enfants et je dois être le plus clair possible. Il est beaucoup plus difficile de s’adresser à des enfants qu’à des adultes parce que tout doit être balisé. Et il est encore plus difficile de créer une bande dessinée qui s’adresse à des enfants et à leurs parents. Pour y parvenir, je travaille par strates. Je reprends ma copie mille fois. Je retire tout ce qui n’est pas nécessaire et je condense mes idées. Chaque signe doit trouver sa place pour faire sens, le moindre mot, le moindre trait.
L’appendice d’une bulle participe à la dynamique de la lecture. Les mots doivent aussi trouver leur place dans la bulle. Je ne coupe pas mes phrases n’importe où. Il y a des césures pour donner un rythme à la lecture. Un texte dans une bande dessinée n’est plus seulement un code qu’on décrypte mais aussi un élément visuel. Le texte, le ton texte doit avoir une lecture visuelle.
Le travail de la typographie a aussi son importance. La police crée pour Astrid est inspirée des polices des années 1920-30. Les onomatopées sont aussi inspirées des polices de cette époque. La typographie participe à l’univers d’Astrid.
Le crayonné terminé, je l’imprime et l’encre sur une feuille de papier en décalquant avec des feutres à pigments japonais. Puis, je scanne mon encrage et la coloriste sépare les traits à coloriser des traits à laisser en noir. Enfin, elle place la couleur de fond et à l’aide de la gamme colorée de l’album, donne vie à mes dessins avec des simples accords d’aplats ».
Nou tenons à chaleureusement remercier Fabrice Parme sa participation à la rubrique Dans la case. Merci pour sa patience aussi. Retrouvez la chronique du l’excellent tome 5 d’Astrid Bromure, Comment refroidir le Yéti.