Une Case en plus vous propose de rentrer Dans la case d’un auteur de bande dessinée, qu’il soit scénariste, dessinateur ou encore coloriste. Dans la case, c’est simple, l’auteur choisit une case au sein de son dernier album, explique son choix et la décrypte pour vous.
Aujourd’hui, c’est au tour de Le Pixx de nous faire entrer dans la page 67 de son dernier album, Hot Space, dont le premier tome Crash Program sera publié chez Kamiti.
« Dans l’ombre d’une maison de torchis, et de terre séchée, se tient une affrontement impitoyable, entre un tueur, et sa proie. Le tueur, malmené, fait usage de son arme pour tenter d’abattre sa cible, une jeune femme armée d’un bâton. Dans un geste martial désespéré, la jeune femme retourne l’arme contre son adversaire… BAM ! »
Cette planche illustre l’un des points narratifs importants que j’ai voulu mettre en avant à travers Hot Space. Je voulais marcher dans les traces de certains de mes maîtres, tant dans le domaine du comics, avec Mike Mignola et Stuart Immonen, qu’à travers la bande dessinée Franco Belge, à travers, notamment, la série Soda, mais lorsqu’elle était, à ses début, dessinée par Warnant, sur les scénarios de Philippe Tome.
Pour le comics, j’ai cherché une dynamique de la lecture, avec une base de trois strips, qui séquencent cette action. De même, le trait et l’usage de contrastes et d’encrages lourds, m’éloignant volontairement d’un style ligne claire « classique » m’a servi à donner beaucoup de puissance à l’action et à la narration.
En ce qui concerne l’approche Franco-belge de cette bande dessinée, elle est bien plus présente qu’elle en à l’air…. Comme je le disais, l’influence des deux premiers tomes de la série Soda ont eu une importance considérable tant dans la dramaturgie que dans l’approche graphique. Ce qu’il y a de très fort dans Un Ange Trépasse et dans Lettre à Satan, c’est de faire approcher un mode très noir, sinistre, et violent, dans un code graphiques qui se veut rond, généreux, et typique de ce qu’on pourrait attendre d’un album jeunesse…. Mais sauf qu’on y voit des gens qui meurent dans des conditions dramatiques intenses. Cette confrontation entre une esthétique très tournée vers ce qu’on attend d’un album jeunesse, et une narration très sombre, créé littéralement un levier extraordinaire sur la violence de l’histoire. J’ai vraiment recherché à recréer cette dynamique dans Hot Space.
Il a donc fallu penser à accompagner une dynamique de lecture très vive, et sortant du cadre très rigide que j’ai imposé dans les grilles de case de cette bande dessinée. L’emploi de cases obliques s’imposait, mais il fallait que les personnages aient des poses et des attitudes qui amplifient l’action à travers la lecture de la page. De même, il fallait que les compositions permettent au regard de circuler vivement d’une case à l’autre, avec la même violence que les évènements décrits, tout en respectant le sens de lecture de la planche (c’est à dire de gauche à droite et de haut en bas, et surtout, en dernière case, la composition qui incite le lecteur à tourner la page, cette planche étant une planche de droite).
La prise martiale, permettant à l’héroïne de retourner l’arme contre son ennemi, a été répétée et travaillée dans le cadre de cours d’arts martiaux (Aïkido et Hapkido). Une fois que la technique a été peaufinée et décomposée sur le tatami, j’ai retravaillé souplement l’exercice en demandant à des photographes de prendre des prises de vue, selon différents angles, sur des étapes clefs de cette technique martiale. Cela m’a permis de travailler le dessin et d’en tirer un story board bien découpé.
L’étape du story board, que j’ai voulue très poussée dans son crayonné, a donc été cruciale pour obtenir cet effet de lecture de la planche. Grace à elle, j’ai pu composer mes éléments, et les régler comme on règle une chorégraphie de combat avant d’en faire une prise de vue pour un film.
Une fois le crayonné du story board accompli, j’ai retravaillé l’image sur table lumineuse, pour en assurer l’encrage, me permettant d’augmenter le dynamisme de la planche en y imposant des traits de vitesse, suggérés d’une manière brouillonne dans le story board. Durant cette phase d’encrage, je me suis posé des questions afin de rendre la dernière case très violente. Un aplat d’encre noire a été appliqué sur le papier, et j’ai effacé à la gomme abrasive les zones qui illustrent les chairs et la matière grise impactées par l’arme retournée.
La mise en couleurs a été assurée par Vera Daviet. Je voulais, pour tout l’album, avoir une ambiance colorée qui rappelle le traitement de l’image, qui rappelle les ambiances que l’on peu trouver dans les premiers films de Lars Von Trier (je pense notamment à The Element of Crime). Cependant, plutôt que de céder à un traitement en bichromie, on a établi une palette de couleurs et un texturing proches de ce qu’on peut voir dans des comics indépendants, ou « hors norme » comme Changri-La éditée chez Ankama.
La contrainte, dans cette planche, résidait dans l’équilibrage des lumières : cette scène se passe en intérieur, à l’abri du soleil d’une planète lointaine et aride.
Nous remercions chaleureusement Le Pixx pour sa participation à la rubrique dans la case.