Luc Brunschwig raconte Le pouvoir des innocents

Le pouvoir des innocents, c’est l’excellent polar / thriller de Luc Brunschwig et Laurent Hirn publié aux éditions Delcourt. Le récit se déroule à New York, fin du XXe siècle. L’élection municipale déclenche une flambée de violence et replonge l’ex-sergent Joshua Logan dans le cauchemar du Vietnam. Comment de simples citoyens peuvent-ils devenir des vigiles meurtriers ? Qui manipule qui ? À l’heure où la sécurité devient la clé du pouvoir, New York peut basculer. Pour des millions d’Américains, le temps de l’angoisse commence.

A l’occasion de ses 30 ans de bande dessinées, Luc vous propose de revenir sur les raisons de la création de cette mythique série.

« Quand j’ai rencontré Laurent Hirn pour la toute première fois (c’était en janvier 1990 à Strasbourg), une chose l’a profondément marqué : le garçon qui se trouvait devant lui, haut de ses 22 années, timide comme une pucelle, souriant à s’en décrocher les zygomatiques et passablement naïf dans ses propos et sa façon d’aborder les gens, correspondait bien difficilement, pour ne pas dire pas du tout, à l’image qu’il se faisait de l’auteur du scénario qu’il venait de lire : une histoire de politique fiction bien dark, très professionnellement écrite par un type avec du vécu qui semblait avoir compris pas mal de choses sur le monde et l’humanité dans sa très large acceptation.

Les deux images correspondaient tellement peu qu’il a passé les 8 jours qui ont suivi à se renseigner, essayant de découvrir si je n’avais pas tout simplement repomper le scénario du Pouvoir des Innocents dans un livre, un comics ou un film qu’il n’avait pas vu ou lu… Mais, non, c’était bien moi qui avais écrit tout ça. Et c’est sans doute dans cette dichotomie d’images entre l’homme que j’étais alors et celui que je voulais être qu’il faut chercher l’envie qui m’a poussé à écrire ce scénario-là, et pas un autre, pour démarrer dans la bande dessinée.

Faisons un petit voyage en 1990 ? Qui était Luc Brunschwig cette année-là ? Pas grand-chose à vrai dire. J’étais le fils de deux rescapés de la Shoah qui m’avaient eu sur le tard (mon père avait 40 ans l’année de ma naissance. Rien de rédhibitoire aujourd’hui, mais à l’époque c’était rarissime… un gosse de vieux, comme on disait). Ma mère me surprotégeait, me parlait peu des réalités du monde, évitait que je me confronte à ce dernier en me maintenant le plus possible à la maison. J’étais le gamin hors mode qui a peu d’amis, le nez toujours plongé dans les bouquins, silhouette chétive à toujours éviter le sport et les vestiaires.  J’étais nul en codes sociaux, parfaitement incapable de comprendre les interactions entre les jeunes de mon âge, sans aucune conscience politique, et totalement ridicule dans mes tentatives pathétiques pour séduire les filles.

Le monde, je ne le connaissais qu’à travers la télévision (j’ai littéralement grandi à la mamelle du téléviseur noir et blanc qui trônait dans notre appartement) et les bandes dessinées que je dévorais.

Ces BD, c’était pour l’essentiel des comics (Marvel plus que DC au démarrage) que je préférais à la bande dessinée franco-belge.  J’y trouvais ce que je ne trouvais pas dans notre bande dessinée nationale… des personnages complexes qui ne traversaient pas juste des histoires qui leur glissaient un peu dessus mais qui, au contraire, évoluaient, parfois de façon totalement radicale, au fil des événements auxquels ils étaient confrontés.

Quelques années avant de commencer à écrire le Pouvoir des Innocents, j’avais croisé les histoires de deux auteurs de ces comics, et tous deux m’avaient littéralement atomisé la tête. J’étais tellement en amour de leurs travaux qu’il semblait évident que si un jour je faisais de la Bande Dessinée, c’était sur le même terrain que je voulais jouer, sauf que… Sauf que ces deux scénaristes avaient pour noms Frank Miller et Alan Moore, et que leur grand talent étaient de mêler des psychologies fortes et nuancées à des contextualisations sociales et politiques pertinentes… bref autant de domaines que je ne maîtrisais absolument pas…  

Est-ce que vous croyez que ça m’a arrêté ? J’aimerai dire que j’ai sauté le pas en étant hautement conscient du risque que je prenais de royalement me vautrer… mais je pense plutôt que je ne me suis tout simplement pas rendu compte des problèmes que cela risquait de me poser (le charme de cette naïveté qui m’habitait alors). J’ai donc commencé à imaginer une histoire qui brasserait tout ce qui me plaisait : des personnalités fortes, une tension de folie, le tout dans un contexte social explosif.

N’étant pas d’un naturel cynique, ne me sentant aucun point commun avec des personnages souhaitant le malheur de l’humanité, pensant au contraire qu’un homme ou quelques hommes de bonne volonté peuvent changer la face du monde, une idée a commencé doucement à germer. L’improbable récit d’une « machination du bien », un groupe d’hommes et de femmes qui rencontrent un jour une femme géniale qui leur ouvre les yeux sur une autre façon de penser la société. Ces gens s’associent alors non pas pour leur propre bénéfice mais par espoir de voir émerger un monde meilleur pour tous ceux qui pourront bénéficier des avancées qu’ils espèrent mettre en place s’ils arrivent à installer leur mentor, Jessica Ruppert, à la tête de New-York…

Cependant, ça demandait, pour arriver à installer cette histoire, de maitriser beaucoup, beaucoup, beaucoup (trop ?) de choses : la psychologie de dizaines de personnages, leurs interactions, leurs évolutions à travers l’histoire de l’Amérique et de ses grandes villes (donc comprendre les USA), inventer une utopie politique crédible qui ne serait pas juste un écho habillant l’histoire mais son moteur principal …  Il a fallu que je pense chaque élément indépendamment pour (dans un premier temps) en comprendre et en maîtriser l’origine et le sens, puis que j’ajuste tous ces éléments dans un mouvement général dans lequel ils entraient tous en interaction pour créer un récit choral convainquant.

Ça aurait dû donner un bouquin au pire indigeste au mieux ridicule de maladresses (d’écriture) et de naïveté (dans le propos)…  Sauf que ça a donné le Pouvoir des Innocents, un récit qui 30 ans après semble (de l’avis de pas mal de monde) avoir prédit l’évolution de nos sociétés occidentales contemporaines.

Pourquoi ça a marché ? Je suis bien incapable de l’expliquer. Je dirais même que plus les années passent et plus je mesure le gouffre au bord duquel j’ai marché avec Laurent Hirn pendant toute la réalisation de ce récit. J’ai investi cette histoire, bien conscient que j’y entrais avec des centaines, voire des milliers de questionnements et quasiment aucune réponse… et que je devais profiter de ce « voyage » pour combler tous les manques que les 22 années précédentes avaient laissés. »

Chez une Case en plus, on vous recommande sans aucune hésitation le Pouvoir des innocents qui fait partie des séries que nous préférons. Le scénario de Luc Brunschwig est absolument génial et le dessin de Laurent Hirn superbe. C’est à la fois sombre, profond, troublant et touchant.

Merci à Luc pour cette fantastique histoire et merci de nous avoir autorisé à retranscrire la genèse de la création du Pouvoir des innocents.

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