Mathieu Salvia & Djet, dans la case… | Croquemitaines


Une Case en plus vous propose de rentrer Dans la case d’un auteur de bande dessinée, qu’il soit scénariste, dessinateur ou encore coloriste. Dans la case, c’est simple, l’auteur choisit une case au sein de son dernier album, explique son choix et la décrypte pour vous.

Aujourd’hui, Mathieu Salvia et Djet vous proposent d’entrer dans la case 4 de la page 13 du Chapitre 3 de Croquemitaines publié par Glénat Comics.

 

Dans la case, Mathieu Salvia, Croquemitaires, Glénat ComicsAvec Croquemitaines, nous avons vraiment essayé, Djet et moi, de bâtir un récit permettant une double lecture (littérale ou symbolique).

L’idée était que si l’on retire les Croquemitaines de l’histoire, celle-ci fonctionne quand même. Dans les carnets bonus à la fin du Tome 1, Elliott, âgé, s’interroge d’ailleurs sur la réalité de ce qu’il a cru voir cette nuit-là et invite le lecteur à en faire autant.

Au début de l’album, le père d’Elliott lui affirme qu’il est à l’abri dans leur maison, et que les monstres n’existent pas. Quelques minutes plus tard, le destin du petit garçon prend toutefois un tournant tragique puisque celui-ci assiste, impuissant, au meurtre de ses parents. C’est à cet instant que tout bascule et que les Croquemitaines apparaissent dans la vie d’Elliott. Sont-ils réels ? Ou représentent-ils ce qu’Elliott, encore enfant, craint le plus, ce qu’il ne peut affronter ?

Cette case, comme de nombreuses autres, offrent une scène riche en symboles (du moins nous l’espérons :-)).

Alors qu’il fuit dans la nuit, Elliott s’arrête devant la boutique d’un prêteur sur gage. Le Croquemitaine qui l’a sauvé lui demande de l’attendre pendant qu’il entre à l’intérieur. Lorsqu’il comprend que le Croquemitaine a vendu la montre de son père contre une poignée de billets, Elliott s’effondre tout d’un coup. Le Croquemitaine lui fait froidement remarquer que son père n’aura plus besoin de cette montre, alors qu’Elliott pourrait, lui, avoir besoin d’argent. Il ajoute qu’ils ne peuvent pas rejoindre la police tant qu’ils n’en savent pas plus sur leurs assaillants et qu’elle ne pourra, en tout état de cause, le protéger.

Tout ici peut être interprété du point de vue du récit littéral (l’histoire du Père-la-Mort qui souhaite changer, et qui se retrouve pris dans la guerre intestine des Croquemitaines) ou symbolique (l’histoire d’Elliott, qui fuit l’assassin de ses parents et se confronte à ses peurs les plus terrifiantes).

Du point de vue d’Elliott – car c’est celui qui m’intéresse le plus ici – cela renvoie évidemment à l’effondrement de son univers d’enfant. Juste avant sa mort, son père venait en effet de lui affirmer que « les monstres n’existaient pas ». Or, Elliott se retrouve précisément confronté à l’un d’entre eux (l’effrayant tueur). Dès lors, tout est possible, et plus rien n’a de sens pour le petit garçon.

Cette phrase « Les monstres, ça n’existe pas », est au cœur du récit. Elle est d’ailleurs présente sur la quatrième de couverture du tome 1 et du tome 2 et clôt le récit.

Dans cette case, lorsqu’Elliott hurle sur le Père-la-Mort, il hurle bien évidemment sur son père. Le nom même du Croquemitaine est ici un indice assez évident :-). Il lui reproche clairement de l’avoir trahi et de n’avoir pas su les protéger. A ce moment, il le déteste.

On peut aussi imaginer que c’est à lui-même qu’il en veut, lorsqu’il hurle qu’il n’a rien fait pour arrêter les monstres sous le pont. Il s’en veut de n’avoir pas su surmonter ses peurs, de n’avoir rien pu faire pour sauver ses parents.

C’est également une étape importante dans la relation entre le Père-la-Mort et l’enfant. C’est à cet instant, je crois, que le croquemitaine commence à comprendre son attachement réel pour l’enfant.

 


 

Dans la case, Djet, Croquemitaires, Glénat ComicsQuand Mathieu m’a proposé cet exercice de mise à nu d’une case de notre album, je me suis demandé pourquoi il avait fait ce choix. J’aurais sans doute pris autre chose, puis, finalement, je me suis rendu compte qu’elle est importante dans le récit car elle marque une rupture dans le tempo, une pause importante où la colère et la tristesse d’Elliott s’expriment enfin.

Dans la construction de cette case, je voulais tout recentrer sur les sentiments que traversait Elliott, et ne pas mettre de décors afin que plus rien d’autre ne compte que eux deux et cette crise importante, une sorte de ras le bol, de rébellion, face à un monde injuste. Même s’il y a l’encart, je considère le tout comme une seule case, car on ne fait que voir ce que ressentent les protagonistes.

Au début, je voulais que les rôles s’inversent, que le Père-la-mort soit engueulé comme un enfant qui a fait une bêtise, la tête baissée, honteux presque. Mais l’idée que Mat avait de la scène et des rôles de chacun rendait la chose impossible, voir elle pouvait tromper le lecteur sur la relation existante.

Car, le personnage reste le Père-la-Mort, un croquemitaine puissant et âgé, malgré l’air qu’il peut donner à cette instant. A ce stade, ainsi qu’au précédent, j’avais déjà ma compo et les attitudes pour décrire cette scène. C’est toujours compliqué quand ton scénariste demande de faire passer l’émotion de deux personnages en seule case, c’est pour ça que j’ai résolu celle-ci en y ajoutant un insert. On avait une lecture en deux temps, sans vraiment casser l’émotion du moment. Surtout avec le gros plan du visage d’Elliott, on pouvait clairement savoir où il en était. Souvent à ce stade, j’ai déjà les ombres et les lumières en tête.

La suite n’est que la mise au propre de ce que j’ai mis en place, l’encrage, avec tous les détails, comme les billets dans la main du Père-la-Mort et la détermination marquée d’Elliott à se révolter sur cette situation et à exprimer sa colère et son impuissance. Le Père-la-Mort reste quant à lui, stoïque.

Moi-même, je ne sais pas encore s’il a conscience de ce qui se passe dans la tête du petit garçon. Il est comme un Père, qui essaye de tout régler, de protéger, de gérer au mieux mais qui malgré tout se prend des reproches sur ce qu’il n’a pas réussi à faire: l’impossible à savoir, sauver tout le monde.


La lumière, sur cette case, est simple, elle irradie du monde extérieur, qu’on ne voit pas ici. Car entre eux tout est sombre, le contrejour sur le Père-la-Mort et le visage assombri d’Elliott par le corps du croquemitaine. Je ne saurai dire si j’ai fait exprès en définitif, que la scène éclairée colle si justement à l’émotion demandée, mais tout s’est agencé comme il faut, à mon sens.

L’agencement des bulles n’est qu’une suite logique de lecture de la case. J’ai fait en sorte que le lecteur suive ce petit chemin de ballon, jusqu’au visage d’Elliott, sans pour autant gêner la lecture du dessin.

 

 

Nous remercions chaleureusement Mathieu Salvia et Djet pour leur participation à notre rubrique dans la case. Et retrouvez notre chronique de Croquemitaines !

1 réaction sur “ Mathieu Salvia & Djet, dans la case… | Croquemitaines ”

  1. Ping Croquemitaines #2, la critique | une Case en plus

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