Une Case en plus vous propose de rentrer Dans la case d’un auteur de bande dessinée, qu’il soit scénariste, dessinateur ou encore coloriste. Dans la case, c’est simple, l’auteur choisit une case au sein de son dernier album, explique son choix et la décrypte pour vous.
Aujourd’hui, Nicolas Keramidas vous propose d’entrer dans les cases 10 à 12 de la page 11 de Mickey Craziest Adventures, réalisé avec Lewis Trondheim, et publié par les éditions Glénat.
“La case la plus logique, à mon sens, c’est celle qui n’est pas présente. C’est à dire la case, ou plutôt les cases qui ont été censurées. Parce que s’il y a une case, chargée d’histoires, dont tout le monde m’a parlé, c’est bien celle-là ! Cela serait dommage de n’a pas s’arrêter dessus.
Dès la première planche de notre Mickey, Lewis Trondheim a failli vriller. Mickey part en voiture. Donald tente de s’incruster dans la voiture de Mickey, mais il parvient à l’éjecter de la voiture d’un coup de pied. Dans la première version scénario, Mickey a éjecté Donald en lui disant : Donald, va t’acheter un slip. Lewis m’appelle aussitôt et me dit, si je commence de cette manière, avec ce ton, alors qu’on souhaite être dans le respect de l’œuvre originale, on va virer au pastiche. Ce qui n’était pas du tout notre idée, pas notre souhait et pas dans l’esprit de ce qu’on souhaitait sincèrement faire. Du coup, Lewis retravaille la réplique et Mickey balance à Donald : « Je vais t’envoyer une dépanneuse… et un manuel du savoir vivre ! ».
Ceci permet d’expliquer notre état d’esprit et notre volonté d’être dans le respect, alors que nous commencions la réalisation de l’album. Et la planche censurée intervient assez rapidement après le début de l’album.
Il y a un gag qui fait beaucoup rire Lewis Trondheim, et qui m’a d’ailleurs bien fait rire également. Mais, tous les deux, on a eu assez vite conscience, au moment même où Lewis a écrit cette planche, que le gag risquait de ne pas passer. Dès que j’ai lu le gag, je l’ai fait remarquer à Lewis, qui m’a répondu : « je sais, et si jamais la censure frappe, et bien on déchirera la page ! ».
Compte tenu de notre idée de départ, d’avoir retrouvé des planches d’un vieil album de Mickey, on pouvait tout se permettre sur cet album : user les planches, faire des tâches, ce qui permettait de ne pas voir ce qu’il y avait dessous. C’est le principe même de notre album de Mickey, auquel il peut même manquer des pages. Personne ne connait l’état exact de ces vieilles planches, donc on pouvait faire exactement ce que l’on voulait. C’est cela qui était vraiment rigolo, c’est d’avoir cette liberté finalement.
Donc Lewis Trondheim m’a dit, faisons la page, et si jamais Disney dit quelque chose, et bien on la déchirera. Du coup, j’ai joué le jeu à fond, j’ai dessiné la page en connaissance de cause et en disant que cela serait vraiment marrant que Disney réagisse, ce qui n’a pas manqué…
Dans cette planche Mickey et le Commissaire Finot se promènent dans la rue, quand tout à coup le commissaire est pulvérisé par les Rapetou avec le rayon rétrécissant, capable de réduire n’importe quelle personne à la taille d’une puce. Finot rétrécit, Mickey est complètement paniqué car le Commissaire risque de se faire écraser par les passants. Mickey va alors essayer d’éloigner tout le monde pour le protéger.
C’est alors qu’interviennent les cases ayant posées problèmes. Mickey a éloigné les passants mais un chien échappe à la surveillance de Mickey, s’approche du Commissaire et lève la patte. On retrouve le Commissaire Finot la case suivante sous la douche, Mickey lui disant : “Je vous jure que je n’avais pas remarqué”. Sans montrer directement la scène, on comprend que le chien a fait ses besoins sur le Commissaire Finot…
Lewis a fait un petit storyboard comme il en a l’habitude, moi j’ai fait ma planche. Puis, comme il est vrai que l’on échange régulièrement avec Fred Tebo, Cosey et Loisel pour discuter de l’avancée de notre travail, nous avons partagé cette planche. Chacun est libre de donner son avis, notamment sur les couvertures, mais personne ne le fait vraiment sur les pages. Alors que ma planche était finalisée et encrée, seul Tebo nous renvoie un storyboard, dans lequel il a remanié uniquement ces trois dernières cases de la page 11. Alors que j’avais volontairement laissé planer le doute, sans trop trop dans les détails, il nous dit qu’on ne comprend pas vraiment ce qui se passe. Et en effet, la version de Tebo fonctionne mieux, mais Lewis me laisse le choix de redessiner ou non la planche. Que je refais finalement.
J’ai refait les trois dernières cases de cette planche, pour finalement déchirer le tout, et qui plus est ne jamais les montrer. Personne ne les as jamais vues. Logiquement chez Disney dès qu’un truc est refusé, c’est refusé. On ne le montre pas. C’est la seule case que j’ai refaite, pour qu’en plus elle soit censurée, et jamais publiée.
Il faut savoir que Disney ne juge l’album qu’une fois terminée. Du coup, on s’était dit que, peut-être, la page passerait au travers des mailles du filet. 46 pages, quand même. Mais l’équipe Disney est impressionnante. Le moindre détail, le moindre dialogue qui dévie un peu, il le remarque immédiatement. C’est une vraie relecture sérieuse et bien faite qui est effectuée.
Donc, comme on s’y attendait, Disney ne valide pas ce passage. Mais on avait tout prévu, et on leur retourne une version dans laquelle on a déchiré les cases posant problème. Disney nous adresse un mail précisant que c’est une idée brillante et géniale d’avoir détourné ainsi la censure. De bonne guerre de leur part.
Bien évidemment, on se doutait que cette scène n’allait pas passer, forcément. Et en même temps, on la trouvait très drôle. Et ce que je trouve vraiment marrant, c’est que d’avoir déchiré la page, cela ne traumatise personne. Finalement, les lecteurs comprennent ce qu’ils veulent comprendre. On a conservé les dialogues en haut et on a censuré le bas des cases. Chacun y comprend ce qu’il a envie de comprendre…
Mais ce qui est tout de même très curieux et ce qui me fait marrer, c’est que les gens l’ont pris comme argent comptant. Beaucoup de gens ont cru que c’était un vrai Mickey qui avait été retrouvé. Du coup, personne ne s’est vraiment posé la question de savoir ce qu’il y avait dessous ces cases… parce que finalement, on les a retrouvées dans cet état-là. Mêmes certains journalistes ont vraiment cru à notre histoire… Ce qui pour moi était impensable et hallucinant.”
Merci à Nicolas Keramidas pour sa participation à notre rubrique dans la case. Et retrouvez notre chronique de l’excellent Mickey Craziest Adventures édité par Glénat.