Pinard de guerre, la critique

Avec Pinard de guerre, Philippe Pelaez et Francis Porcel se retrouvent après Dans mon village on mangeait des chats pour aborder la guerre de 14-18 de l’angle d’une drogue bien connue et de son pourvoyeur.

Ferdinand est un tire-au-flanc, un planqué qui simule une infirmité pour échapper à la guerre et éviter de se retrouver en première ligne, dans les tranchées face aux Allemands. Profiteur sans scrupules, il a fait fortune dans le commerce d’un pinard douteux et frelaté qu’il vend à l’armée, allant même jusqu’à nuire à la concurrence pour être le seul fournisseur des poilus. Alors qu’il écoule son vin près de la ligne de front, Ferdinand se retrouve malgré lui engagé dans le conflit et devient, avec ses compagnons d’infortune, prisonnier d’une tranchée prise entre deux feux.

Au départ de l’intrigue de Pelaez, Ferdinand assume pleinement être un salaud, mais belle et bien une vraie ordure qui crache à la face des soldats courageux pour l’amour de l’argent. Cynique à souhait, il ne place pas d’espoir en l’homme, que ce soit le gradé qui envoie le soldat se faire éparpiller façon bouchère ou ce dernier, qui lui obéit pour une revanche qui n’est pas la sienne. Il va devoir faire face à la réalité qu’il fuit lorsqu’il est pris au piège dans une tranchée, entre les forces allemandes. Philippe Pelaez nous mène en bateau, ou plutôt en calèche ici, celle qu’utilise Ferdinand pour acheminer ses barriques : il à été un homme avant la guerre, comme d’autres, et l’auteur semble dire que l’horreur prélève son dû de différentes manières. Le passé du héros se dévoile au fil des pages et le vilain prend de l’épaisseur, on se met à le comprendre et même à l’apprécier. Quand on parle des poilus et des tranchées, on s’impose un cadre connu, oppressant, et le scénariste raconte bien. Le narrateur est Ferdinand, et ses commentaires à la troisième personne posent l’ambiance nécessaire, dans un langage cru, très immersif. Il raconte l’état d’esprit des soldats, l’absurdité de la guerre qui rendait égaux dans la fange et les poux, danseur et ouvrier.

Les graphismes de Francis Porcel est parfait. Il réussit  à dessiner de la gueule cassée et de la tranchée sur une moitié d’album sans lasser, il joue avec autant de brio des expressions des personnages que des  teintes qu’il emploie. On trouve dans Pinard de guerre un spectre d’émotions très riche sous son crayon, car on y est désabusé, en colère, perdu, pédant, guindé, innocent, terrorisé. Chaque personne croisée porte son histoire dans son attitude. Pour les couleurs, Ferdinand porte par exemple un costume orange une bonne partie du récit, ce qui tranche avec le bleu sale des uniformes français. Les scènes ne se déroulent pas de jour où de nuit, mais de jour, au crépuscule, à l’aube, à la lueur d’une bougie, à l’ombre des arbres, et les teintes tendent alors vers l’orangé, le gris, le violet de manière savante. Chaque scène du récit est ainsi bien découpée et soutenue par sa palette de couleurs, ajoutant encore au rythme et au plaisir du lecteur.

Mettant en avant une facette méconnue de l’histoire de France et de la guerre 14-18, Pinard de guerre est une réussite totale, que le thème initial, à savoir l’usage du vin pendant la guerre, passionne ou non. Le scénario est rythmé et intelligent, le héros fouillé et imposant, les couleurs savantes et le trait pertinent. Il n’y a rien à jeter, même pas le bonus documentaire en fin d’album qui se permet le luxe de nous cultiver après nous avoir captivé.

Pinard de Guerre
64 pages
Philippe Pelaez – Francis Porcel
Grand Angle
Parution : 1er septembre 2021

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