Une Case en plus vous propose de rentrer Dans la case d’un auteur de bande dessinée, qu’il soit scénariste, dessinateur ou encore coloriste. Dans la case, c’est simple, l’auteur choisit une case au sein de son dernier album, explique son choix et la décrypte pour vous.
Aujourd’hui, Ronan Toulhoat vous propose d’entrer dans la première case de la page 82 du 3ème tome du Roy des Ribauds.
« J’ai choisis la case 1 de cette page car elle est très emblématique de cet album pour plusieurs raisons.
A ce niveau de l’histoire, nous sommes au point d’orgue de la résolution des intrigues : dans le monde souterrain, la cour des miracles, les femmes ont réussi leur coup d’état, orchestré par la grise (que nous voyons en case 4 de cette page) et par Mélisandre afin de détrôner le grand Coesre et de mettre Saif sur le trône. Mais de son côté le Rouennais marque aussi de nombreux points en décapitant proprement le conseil des truands de paris. Le Triste Sire perd donc des forces potentielles mais gagne un allié puissant. Car Saif reste son ami malgré tout.
La prise de pouvoir de Saif dans la cour des miracles revêt plusieurs éléments clés:
- C’est une machination dont il est le jouet qui le met sur le trône. Il tue le grand Coesre car il n’a pas d’autres choix, poussé par les évènements, Mélisandre, mais également son besoin de vengeance à la vue de ce que le grand Coesre a fait subir à son ami Michel. Enfin, le grand Coesre touche une corde sensible en l’accusant d’être un larbin qui ne fait qu’obéir aux vents de ce que d’autres soufflent pour lui.
- Mais sa prise de pouvoir va également mettre de côté Sybille, en qui le grand Coesre voyait sa succession assurée et logique (elle est de son sang, et porte en elle la force de son père et de sa mère). Cette prise de pouvoir, qu’elle n’a pas vu venir, va la blesser profondément… et elle n’aura de cesse de revendiquer son héritage par la suite.
Il fallait donc mettre en scène cet acte de prise de pouvoir. Comme une pièce de théâtre. Les acteurs sont sur scène, le public regarde et voit. Et il nous fallait traduire la phrase “Le Roy est mort, vive le Roy !” de manière très graphique.
Mais surtout, surtout, je tenais à cette mise en scène littéralement théâtrale: Le contre-jour, les braseros faisant office de projecteur et le public ébahi (donc j’avais déjà commencé à marquer le lecteur en mettant systématiquement en scène sous forme théâtral ce qui se passe dans le monde du dessous : que ce soit l’entrainement de Sybille, ou les interventions de grand Coesre. Ce dernier cultive ça, et au final toute sa cour joue le jeu. C’EST un JEU.
Et surtout les deux silhouettes enlacées dans une étreinte mortelle pour l’une… synonyme de pouvoir pour l’autre, bien malgré lui. Je voulais ce mélange de théâtre et de ballet dans le même temps. On notera d’ailleurs que l’acte final venant de s’achever, son public l’adoube en scandant son nom…..
D’un point de vue narratif, commencer cette double page par l’étreinte finale et mortelle, permet de finir la page précédente sur un cliffhanger presque insoutenable 🙂 (Forcer le lecteur à tourner la page est toujours une gageure…)
Voilà pour la partie plus évocatrice de tout ce que Vincent et moi voulions cristalliser dans cette double page, et plus particulièrement dans la case 1.
On peut maintenant l’analyser d’un point de vue plus technique. En termes de composition, cette case est également intéressante pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le profondeur de champ : pour dramatiser une scène, j’adore jouer sur les contrastes forts. Des avants plans ou des premiers plans très noirs, qui contrastent avec des seconds plans presque en ligne claire. En l’état, j’ai forcé ce trait de manière absolue. Nos protagonistes sont des silhouettes, des ombres chinoises. Le public est esquissé légèrement, juste au contour, et l’arrière-plan est suggéré à la couleur. Ainsi l’effet est maximal.
Ensuite, la composition de la case : en composition d’images, on ne centre JAMAIS sur le sujet principal. Sauf pour un effet recherché et bien voulu. En effet, mettre le sujet principal sur le centre parfait d’une case reviens à ennuyer profondément l’œil du lecteur. SAUF si l’on souhaite instaurer un climat de profondeur, de solennité, ce qui n’est absolument pas le cas ici. Nous sommes dans la passion. On remarquera que le sujet principal est situé sur la ligne marquant le premier tiers de l’image. De même, le regard des protagonistes se place grosso-modo sur la diagonale haute bas de l’image, liant leur regard au brasero, et permettant une agréable circulation de l’œil du lecteur sur cette case, permettant ensuite à cet œil d’enchainer sur la case suivante de manière naturelle. De fait, dans un sens de lecture naturelle, le lecteur parcours la case en englobant toutes les informations nécessaires (les silhouettes, le public, la scène, le décor) avant d’enchainer sur le public ébahi. Les informations étant posées, je peux ensuite enchainer par un contre champ sur Saif, stupéfait. Cela semble naturel puisque le décor étant posé, tout semble logique à la lecture.
Enfin, on peut ensuite terminer rapidement sur la couleur. Cette dernière est propre à la scène entière. Depuis le début, je marque le monde du dessous par une dominante fortement rougeoyante. Le fait que nous soyons dans des souterrains l’implique forcément, éclairés par des braseros. Mais tout ça évoque aussi une forme de cercle des enfers… de manière plutôt basique….mais après tout, cela fonctionne, non?
La couleur est, pour moi, un élément très important dans la narration. Il permet de marquer les changements de scène par l’ambiance. Mais aussi de marquer les plans et d’assurer la lisibilité d’une scène, avec par exemple un avant plan dans l’ombre et un premier plan dans la lumière, tout en jouant sur des contrastes couleurs (le sombre violette et la lumière jaune).
Sur cet album, j’ai particulièrement travaillé cet aspect des choses sur la couleur : marquer de manière tranchée les ambiances et jouer sur la narrativité qu’amène la couleur, comme par exemple le manteau bleu du grand Coesre dans le chapitre 3, qui est un lien visuel de case en case et qui améliore, à mon sens, la lisibilité.
Ou encore, par exemple, le choix des couleurs douces et luminosité pour le début du chapitre 9. Cela marque une temporalité plus calme. La fureur et la rage se sont calmées, exit donc le rouge ».
une Case en plus remercie chaleureusement Ronan Toulhoat pour sa participation à la rubrique Dans la case…. Retrouvez la chronique de son dernier album Le Roy des Ribauds #3 publié par Akileos.